Voici plusieurs mois que l’Euskal trail occupe nos pensées sportives. En 2018, David était parti seul, en éclaireur, pour tenter sa chance sur cet ultra Basque. Une blessure l’avait malheureusement conduit à stopper sa route à Urepel, après 72km et plus de 4500m de dénivelé positif.
Cette année, nous sommes 3 coureurs de l’UATJ à être inscrits sur la distance reine. Fred Monguillot est quant à lui présent avec un copain sur le trail gourmand, 2 x 40km et D+ 4000m, du très costaud.
Côté préparation, les bases ont été posées dès le mois de mars lors du trail de St-Pée avec un bon gros 42km et 2800m de D+. Sorties longues entre l’Artzamendi et le Mondarrain et reconnaissances de plusieurs parties du parcours – 33km entre Baigorri et le col d’Ispéguy avec Michel et Eric, 30km entre les Aldudes et Urepel réalisés en solo par Michel – ont également permis d’assurer un entraînement à la hauteur de l’évènement.
A quelques jours de la course, nous mettons au point les derniers préparatifs autour d’une bière et de quelques rondelles de saucissons, nous sommes très attentifs à notre alimentation… Physiquement, tout va bien pour Michel et moi. Pour David, c’est une autre histoire car il n’a couru qu’un seul petit 10km en à peine un mois. Mi-avril, il a été contraint à l’abandon sur le 180km de l’ultra des Causses pour cause de douleurs au dos et au genou (arrêt au 93e km).
Le grand rendez-vous approche, nous covoiturons le jeudi après-midi direction Baigorri et sommes accueillis vers 16h par Ainhara et sa petite famille. Nous logeons à 400m du départ (et de l’arrivée), un vrai luxe. Les sacs posés, nous nous dirigeons vers la salle située près du fronton pour retirer notre dossard. L’organisation est au top, très peu d’attente et des lots sympa : demi-bouteille d’Irouléguy, conserve de chichons, sauce basque, chaussettes, t-shirt… Une petite photo et nous rejoignons l’arche pour le briefing. Il fait déjà chaud et nous veillons à rester le plus possible à l’abri du soleil. Nous retrouvons Yohan, un copain de David, qui vise une place dans le top 30…
Le briefing est finalement assez rapide, rien à signaler si ce n’est la chaleur qui devrait être bien présente durant les prochains jours. Un verre de cidre et de coca et retour chez Ainhara pour préparer les sacs. Nous filons ensuite avec Michel vers le mur à gauche pour la pasta party. Pas facile à trouver mais très pratique, on discute avec des gars d’Orthez habitués de la course et inscrits sur le 130km.
Sur le trajet, nous admirons le panorama, les montagnes sont omniprésentes.
C’est l’heure du dodo, réveil prévu vers 3h45’…
Pour ma part, une nuit assez bonne pour une veille d’ultra, aucun ronflement intempestif. Petit-déjeuner : chacun a ses petites habitudes mais nous avons un point commun, « la banane », au sens propre comme au sens figuré. Les chaussures sont enfilées et c’est parti pour la grande aventure.
Nous ne sommes qu’à quelques centaines de mètres de la ligne de départ mais nous arrivons quand-même au dernier moment et tentons de nous faire une place au milieu du peloton.
Il est 5 heures, Baigorri s’éveille ! Feu d’artifice digne d’un 14 juillet pour souhaiter bonne chance aux 500 valeureux participants (421 solo et une trentaine de duo).
Nous courons les premiers km ensemble, Michel, David et moi, Yohan est déjà loin devant. Dès le début de la montée du Jara, nos chemins se séparent. Les frontales sont allumées et les esprits concentrés.
Sur la droite, nous apercevons la chaîne des Pyrénées et les derniers sommets enneigés, le paysage est fantastique. Grimpette jusqu’au sommet, traversée en balcon puis descente en lacets et parfois droit dans la pente. Je me remémore la sortie effectuée quelques semaines plus tôt avec Michel, et Eric « à la relance ». Le rythme est bon et nous progressons maintenant vers le Larla et ses anciennes mines de fer. Le soleil pointe le bout du nez et nous arrivons au premier ravito, 19ekm. Je suis légèrement en avance sur mes prévisions, il est 8h. Je cours à côté d’un V3, une vraie mobylette, réellement impressionnant.
Nous entamons désormais la fameuse montée en direction de la cheminée d’Iparla. Je pense à Michel, très à l’aise lorsqu’il y a du dévers… Il est encore tôt mais la chaleur commence son travail de sape. Content de parvenir enfin sur la crête et discuter le bout de gras avec un gars du club Baztandarrak. La suite est assez technique et il est relativement difficile de courir sur cette portion menant jusqu’à la forêt de hêtres. Je m’arrête vite fait près d’une source pour m’asperger le visage. J’essaierai de renouveler l’opération tout au long de la journée afin de faire baisser la température du corps, ou plutôt de l’empêcher de trop monter.
Dernière traversée en dévers et nous apercevons le col d’Ispéguy (31e km), sans Eric ni les bières cette fois-ci. Je refais le plein d’eau, me ravitaille et poursuit ma route. Les sensations vont être bonnes jusqu’au ravito suivant, les Aldudes. Dans la montée longue et difficile vers l’Autza, nous croisons les coureurs du 2 x 40km. Ce passage est très sympa car chacun encourage l’autre. Je verrai Fred Monguillot dans la descente, en pleine forme et motivé comme jamais.
Nous redescendons dans la vallée, le soleil tape à plein et l’arrivée aux Aldudes est chaude, très chaude (44e km). Heureusement, ma femme et les garçons sont là pour me donner de l’énergie. La fraîcheur du trinquet est également salvatrice. Je profite de la présence de mon « fan club » pour me faire servir à boire et à manger, tout en restant assis.
J’ai peut-être abusé des bonnes choses car, dès la sortie du ravito, je sens que le corps ne suit plus. Après 500m de pente raide, je m’arrête et vomis la totalité des aliments engloutis quelques minutes auparavant (désolé pour les âmes – ou les estomacs – sensibles). La suite sera dure, très dure. Nous sommes en tout début d’après-midi, la chaleur est omniprésente et je n’ai plus de jus. Je vais devoir serrer les dents pendant plus d’une heure et accepter de me faire doubler par un, deux, trois, dix, vingt, trente… coureurs et coureuses. Au cours d’un nouvel arrêt près d’un ruisseau, une crampe au mollet me fait affreusement souffrir. Peu après, la même douleur survient dans l’autre mollet. Quel pied la course à pied !!!
Progressivement, je retrouve mes sensations. Nous sommes sur la ligne de crête et longeons une clôture pendant un bon bout de temps. Il fait chaud mais le ciel est totalement dégagé et nous pouvons profiter de la vue à 360°, c’est grandiose.
Nous parvenons aux abords du Pays Quint (Kintoa), ravito d’Urkiaga, déjà 59 km parcourus, il est environ 16h30. Le public est ici en nombre et très bruyant, ça fait du bien au moral. Nouvelle pause bienfaitrice, les jambes sont lourdes et il va falloir tenir jusqu’à la base de vie. Je m’installe à l’ombre et abuse de la gentillesse d’une accompagnatrice pour lui demander d’aller me chercher un verre de coca.
Un gros morceau nous attend : le mur de l’Adi. Michel m’avait parlé d’un truc pas très long mais avec une pente bien raide. Effectivement, après un passage assez calme en sous-bois – au cours duquel je discute avec un gars de Rennes (on fera ensuite le yoyo pour arriver quasiment ensemble) – la tempête arrive… La tactique est relativement simple, il faut y aller droit devant, « dré dans l’pentu ». Je ne m’en sors finalement pas si mal et parviens au sommet en bon état. La vue est énorme, une des plus belles du parcours.
La descente est aussi difficile que la montée et les quadriceps sont mis à rude épreuve. La suite se passera relativement bien avec notamment de bonnes petites relances dans la forêt nous amenant vers Urepel.
Je suis toujours dans le rythme par rapport à mes prévisions : il est quasiment 19h30 et c’est l’entrée dans la base de vie. Je récupère mon sac, bourré à craquer, je préfère en mettre plus que pas assez… L’expérience des ultras me permet d’avoir quelques automatismes et de ne pas trop me disperser. Changement de chaussettes, chaussures, t-shirt, je remplis ma poche à eau, je recharge en barres et compotes. J’enquille des pâtes et deux bols de soupe aux vermicelles. Je prends le temps nécessaire pour permettre au corps de se reposer et de « redescendre en pression ».
Une fille assise à mes côtés n’a pas l’air au mieux. Elle a mal aux genoux dans les descentes et me demande s’il est possible d’aller au bout simplement en marchant. Vu la marge confortable sur les barrières horaires, je lui réponds qu’il ne devrait pas y avoir trop de problèmes pour terminer, même en marchant. Avec la nuit, la température sera également plus clémente et facile à supporter.
Au final, je vais rester près de 45 minutes à Urepel. Je sors avec la frontale sur la tête, prêt à affronter la deuxième partie de cet ultra. C’est un moment privilégié pour appeler ma femme et mes enfants et engranger un maximum d’énergie positive pour la suite de l’aventure.
J’aime bien cette sensation, comme si on débutait une nouvelle course. On quitte la base de vie, la foule, les accompagnateurs, « la civilisation », et on se retrouve presque seul avec le plaisir de traverser une nuit entière en montagne.
On est en fond de vallée et il faut maintenant remonter sur les crêtes. Le coucher du soleil aux abords du Lindus est tout bonnement fantastique. On aperçoit désormais la lueur des frontales, telles des lucioles serpentant le long des sentiers. Un ravito surprise nous attend entre Urepel et Burgete : les bénévoles ont allumé, avec quelques jours d’avance, un bon gros feu de la Saint-Jean. La prochaine halte est annoncée à environ 5km, il n’y a plus que de la descente.
Je ne sais pour quelle raison, ma tête se met à ordonner à mes jambes de foncer. Je vais alors courir, courir et encore courir jusqu’à parvenir à Burgete. Il y a des moments comme ça où le corps vit une « seconde jeunesse ». Je regarde ma montre, il est déjà 8h… non, il est bien 23h23 lorsque je quitte le petit village basque espagnol. J’avais prévu une arrivée à minuit, une telle avance m’étonne un peu. En fait, contrairement à ce que nous disent les bénévoles, Burgete est au 87ekm et non au 92e. La précision est importante car chaque km est désormais une réelle épreuve.
Peu après, nous traversons Roncevaux, sur les traces du chemin de Compostelle. Je pense à mes parents avec lesquels je suis venu ici il y a plusieurs mois. C’est reparti pour une nouvelle grimpette dans la forêt, j’en bave un peu sur ce passage pas très marrant. Mon cerveau commence à se poser la fameuse question : qu’est-ce que je fous là… Je marche, marche et marche encore. Nouveau petit ravito, nouveau bol de soupe, aux légumes cette fois-ci, il faut varier les plaisirs !
Pas grand monde à qui parler, il fait nuit, le temps n’avance pas bien vite, tout comme mes jambes.
De la lumière, une bergerie, c’est le ravitaillement d’Egantza, nous avons franchi la barre des 100kms. Je ne suis pas très frais et m’assois où je peux, les quelques chaises étant déjà prises par d’autres coureurs. Je bois un coup et, au bout de quelques minutes, je sens que ma tête commence à tourner. Un bénévole appelle un secouriste et me voici dans la pièce d’à côté, allongé sur un lit de camp. J’étire la couverture de laine et ferme les yeux tout en demandant de me réveiller dans 15 minutes. En face de moi, une fille est mal en point, elle a des ampoules un peu partout et souhaite abandonner.
C’est l’heure, le dodo est terminé ! Je me sens mieux et prêt à repartir. Le secouriste m’accompagne durant quelques centaines de mètres pour s’assurer de mon état de santé. Nous discutons un peu et il me laisse poursuivre mon chemin jusqu’à Arnéguy. Je le remercie de sa disponibilité et de son professionnalisme, vraiment top.
Les lumières d’Arnéguy sont là, en contre-bas, à portée de main ou plutôt de pieds. Malgré mon « arrêt au stand », j’entre dans le village vers 4h15, toujours sur mes bases, un vrai métronome. Le ravito est assuré par des jeunes, principalement des filles. L’ambiance est très sympa et je sors quelques blagues. Un gars me dit qu’il va arrêter, lui aussi a des ampoules… Je croyais que les ampoules étaient réservées aux frontales. Nous sommes au 111ekm et je ne comprends pas bien comment on peut abandonner si proche du but pour quelques bobos aux petits petons. Bref, chacun sa motivation.
J’avale un Yop à la vanille et repars avec le sourire (en principe, cela marche avec un Mars), il ne reste plus qu’une trentaine de bornes et quelque 1400m de D+, une broutille ! Je sais que je tiens le bon bout et que nous allons avoir droit à un lever de soleil de toute beauté.
Une grosse grimpette plus tard, cela se vérifie. Nous sommes un petit groupe à profiter du panorama, grandiose. L’arrivée n’est plus très loin et nous discutons entre coureurs. Nous sommes au CP10, à Ehuntzaroi, 121ekm. L’Adarza nous nargue, il va encore falloir serrer les dents et affronter cette nouvelle pente. On y est, le sommet est atteint, Baigorri nous attend.
Dernier ravito à Aharza, le soleil nous montre qu’il est encore là et qu’il va en remettre une couche, plus importante encore que la veille. Heureusement, nous n’aurons pas à le supporter bien longtemps.
On commence à entendre les clameurs du public et le micro du speaker. Le cerveau se remet sur le mode course à pied, j’aperçois David qui m’accompagne en claquette sur les derniers mètres. L’arche est franchie, il est 9h36’, j’étais parti pour 28h, un vrai coucou suisse ! Au classement, je termine avec une belle 127e place sur les 421 partants (48e dans la catégorie « papy 1 »). La chaleur a fait son effet car on dénombre 41% d’abandons.
L’animateur, bien connu des courses du Pays basque, me pose quelques questions, super sympa. Direction ensuite le ravito puis la douche extérieure pour refroidir la machine. David porte gentiment mes affaires et me conseille d’aller récupérer mon sac de rechange. Très bonne idée car j’allais partir sans recevoir mon cadeau « finisher », une belle veste rouge, très utile pour se protéger de la pluie et du vent… elle servira peut-être à l’occasion d’une prochaine édition !
Retour chez Ainhara pour une vraie douche cette fois-ci. Son compagnon se demande s’il ne va pas se laisser tenter par l’aventure, il aime bien les défis, notamment sur le plan mental.
Nous reprenons ensuite la route pour Urcuit avec un chauffeur de luxe, un dénommé David. Comme en 2018, il a malheureusement terminé sa course à Urepel en raison de douleurs au genou. Même souci pour Michel, contraint à l’abandon aux Aldudes. Ce n’est que partie remise car l’entraînement réalisé par ces deux athlètes était largement suffisant pour parvenir à boucler cet ultra. Yohann aura quant à lui explosé son temps de l’année dernière avec un chrono hallucinant, 21h06, et une incroyable 24e place.
Très content pour ma part d’être venu à bout de cet Euskaltrail, même s’il m’a donné du fil à retordre, notamment en raison de la chaleur et de l’exigence du parcours. Mais qui dit chaleur dit soleil, et vue dégagée sur la magnifique vallée des Aldudes et ses environs. Je n’ose imaginer ce que cela doit être dans des conditions humides et venteuses…
Maintenant, place au repos, des jambes et de la tête. Aupa UATJ !!!